Sous le sixième soleil (2015)

Le texte a été soutenu de la Bourse de Découverte du CNL – Centre National du Livre

RÉSUMÉ

Marjane arrive dans un vieux hangar en bord de mer, sur les bords extrêmes du continent. Elle y est accueillie par Izzi, étrange personnage qui se dit le seul habitant de cet endroit délaissé. Marjane arrive sans argent, sans bagage et sans mémoire, à la recherche d’une douche chaude et d’une connexion. Deux autres arrivent, Rose et Leo. Ils travaillent pour une l’agence qui s’occupe de la “récupération” de voyageurs clandestins…

La pièce interroge des mécanismes d’exclusion et d’insertion devenus inhumains. Se frôlant à la science fiction, elle aborde ce thème par l’absurde et le poétique, mettant en scène des personnages déchirés, obscurs à eux-mêmes, en quête d’identités propres.

EXTRAIT

Enfermés dehors

(La plage. Sur le sol, des algues et des déchets en plastique. Au lointain, une barque noire en épave. Izzi accroupi, la chemise ouverte, des marques de brûlures sur la poitrine. Marjane à côté.)

MARJANE

Quelle foule de mouettes au-dessus de la mer… Elle ne part jamais ?

(Un temps.)

Mon mari… Je crois qu’il a disparu sur la mer.

IZZI

Le suicide est l’apanage de notre époque.

Il y a tant de manières.

La mer, en voilà une bonne.

MARJANE

Il ne s’est pas suicidé.

C’était un accident… Je crois.

IZZI

Dans cette eau, il n’y a ni requins ni piranhas.

Mais en réalité, tous les poissons mangent la chair humaine, quand elle est restée assez longtemps dans la mer pour en avoir pris le goût.

MARJANE

Mon mari ne s’est pas fait manger par les poissons.

(Marjane remarque les brûlures d’Izzi.)

Qu’est-ce qui t’arrive ?

IZZI

Ce n’est rien… Le juste prix. Rien.

(Attrape le bras de Marjane puis le relâche.)

Les mouettes aussi mangent leur propre progéniture.

Moi-même je mangerais mon bras, si j’avais assez des sédatifs pour calmer la douleur.

MARJANE

Pourquoi y a-t-il si peu de souvenirs en moi ?

Un trou noir.

Je ne sais pas si c’est bien ou si c’est mal de ne rien savoir du passé.

Il est absent, c’est tout ce que je sais.

Pourtant, quelque chose a commencé en moi et ça continue.

Ça grandit et me remplit de plus en plus, en me tordant le ventre.

Des gaz opaques qui se répandent.

(Elle le regarde.)

… Le passé, est-ce une chose vivante ?

IZZI

Ma pauvre, tu as une paranoïa avancée.

Fais-moi confiance sur ce sujet, je reconnais la folie chez les autres.

MARJANE

Une folie… Rien qu’à moi !

Quelle jolie histoire que tu es encore en train de me raconter.

IZZI

Tu ignores tout de ta maladie.

Alors, tu peux en profiter pleinement, sans le moindre remords.

MARJANE

Je me rappelle… de certaines choses…

Mon mari avait des yeux qui portaient la lumière quand ils me regardaient.

Il s’amusait à les fermer en traversant la rue, simplement pour défier son sort.

Il y avait beaucoup de camions sur cette route.

Il était fou.

IZZI

Il y en a tellement maintenant.

(Marjane a un hoquet.)

MARJANE

Je crois que je suis malade.

Je ne connais pas encore son nom, mais je sens que la maladie m’envahit de plus en plus.

Bientôt elle va sortir de moi et m’envelopper de l’extérieur, comme un manteau de plume.

IZZI

Une maladie n’est pas toujours mauvaise.

MARJANE

J’ai des morts dans le ventre.

Une armée de cadavres, tous en train de pourrir en moi,

Et ça fait des gaz toxiques, qui m’empestent et m’empoisonnent de l’intérieur,

Ça me tord et me ronge, un crématoire dans mes intestins,

Ça m’intoxique du dedans,

On ne peut pas tuer la mort,

Et je sais que bientôt elle va m’envelopper comme un manteau de plume,

Ou alors ça va m’exploser le ventre, qui va péter et éclore de la mort.

Demain ce corps ne sera peut-être plus rien qu’un nuage de gaz toxiques à l’horizon.

(Elle a un autre hoquet violent.)

Si bientôt je vais éclater ?

(Noir.)

Extrait audio Sous le sixième soleil

Voix : Francine Eymery et Viola Ghidelli

Réalisation audio : Philip Baumgarten